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06 Avril 2015
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Kamel Daoud : La possibilité d'une Tunisie
De retour de Tunis où il
avait été célébré lors de la Foire du Livre, Kamel Daoud a écrit la Chronique SUIVANTE qui mérite lecture.
Les Tunisiens sont sévères avec leur
révolution : elle va mal, fait mal, est mal faite. Le pays est en difficulté,
n'a pas beaucoup d'argent et les petits Benali repoussent doucement à l'ombre
des indécisions. Aux yeux de l'Algérien passant, cela fait un peu sourire car
le désenchantement chez nous dure depuis 53 ans presque. Là où en Tunisie, la
désillusion est si jeune (trois ans) qu'elle en ressemble à un caprice. Que
leur dire ? Tout : qu'ils ne savent pas ce que vaut, au change du symbole, leur
révolution encore vive dans le désastre de ladite ARABITÉ», c'est le seul pays qui prouve encore qu'il y a de l'espoir. On ne
leur répètera jamais assez car les Tunisiens ont peu conscience de leur reflet
dans nos déserts. Il faut encore et encore leur répéter qu'ils doivent réussir
car cela implique pour nous la possibilité d'une île. Sinon, nos dictateurs
auront raison. Déjà qu'en Algérie, l'exemple libyen et syrien ou égyptien
assure la survie miraculeuse d'un régime qui est allongé comme Moubarak, fou
comme Kadhafi, violent comme Bachar, rusé comme Ali Salah.
La Tunisie devine peu son poids,
habituée qu'elle est à l'angle discret de sa géographie et à la modestie de ses
ambitions régionales. « Un petit pays qui a donc de petits problèmes », résume
un ami dans les rues lumineuses de son pays. Faux, car ce pays a aussi inventé
la grande solution. On le ressent dans la rue et les esprits. Discussion avec
un jeune homme brillant qui, entre vie de commerce et de loisirs, réinvente la
solidarité dans la Tunisie profonde : initiatives envers les lycées, les
femmes, les villages oubliés, etc. Etonnement en soi et presque de la jalousie
à entendre ces gens parler de leurs initiatives en toute liberté : « Ici, les
ministères ont peu d'argent et de moyens : quand quelqu'un lance une
initiative, ils sont preneurs». Cela vous plonge dans la songerie du pays
derrière le dos, le vôtre. Là, on ne peut pas bouger sans agrément,
autorisation, bureaucratie. Tout est à l'ombre de la méfiance policière. Je ne
peux pas aller dans les écoles algériennes, parler de littérature sans le
cachet humide de Bouteflika lui-même. Si on lance des initiatives d'internats subventionnés,
de lycées autonomes en énergie, recyclage ou alimentation, on a besoin de deux CONTENEURS d'autorisations au bout d'un siècle de procédures. On ne peut rien
faire pour son pays ligoté, que gémir, médire puis grimacer et regarder les
radios des mille collines (Echourouk et Ennahar) réinventer le FIS sous vos
yeux et fabriquer une guerre civile à venir.
Ce qui frappe en Tunisie est ce concept
lumineux, libre, vif et essentiel : la possibilité d'entreprendre, de faire
quelque chose. Le militantisme n'a pas ce sens de concurrence vers le Pouvoir,
mais d'engagements solidaires envers les siens. C'est-à-dire que l'on peut
faire quelque chose, qu'on le fait, sans méfiance, ni doute, ni la rouille
majeure du soupçon, ni inquisitions. Les raisons : Benali a fui, il n'y a pas
de pétrole « don de Dieu » qui transforme le peule en malédiction de la
démographie, il n'y a pas d'armée qui pèse, pas d'anciens moudjahidine, de
famille révolutionnaire qui butinent le butin de guerre. C'est un pays qui
subit les islamistes mauvais, le terrorisme et la crise mais qui attend encore
quelque chose de lui-même, essaye, tente et ne sombre pas. Beaucoup de
Tunisiens savent intuitivement, même s'ils tentent de l'oublier dans le
bavardage, que leur Tunisie dépend d'eux, de chacun et qu'ils n'ont que ce pays
sous l'aisselle dans le VOYAGE du monde.
La révolution est dure, coûteuse, mais
l'initiative est donc possible, l'entreprise, l'acte. La Tunisie est la
possibilité d'une île, l'Algérie est un continent perdu. On en est frappé. Bien
sûr les grimaces chez nous sont des essaims quand on parle de l'espoir dans ce
pays voisin. C'est qu'on n'aime pas voir les autres réussir. Et on est
solidaire dans les échecs. C'est notre métaphysique : il est douleur pour le
pays qui a brillé par une guerre de Libération, de voir que d'autres se
souviennent ou vivent mieux la liberté.
Passons. L'attentat du musée est encore
dans les discussions ici. Mais la Tunisie n'est pas un musée figé. C'est un vif
pays qui habite le présent.
Kamel Daoud