domingo, 11 de janeiro de 2015

Dans le Figaro, une voix contre la manifestation bigarrée (en termes d'ideologie, etc).

Philippe Bilger : pourquoi je ne parcipe pas à «la marche républicaine»

FIGAROVOX/HUMEUR - Notre chroniqueur a décidé de s'abstenir de participer à la grande marche citoyenne de ce dimanche. Il s'en explique dans FigaroVox.


Chaque semaine, Philippe Bilger prend la parole, en toute liberté, dans FigaroVox. Il est magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole. Son dernier livre, «Contre la justice laxiste», a été publié aux Éditions de l'Archipel (2014). Il publie également sur sa chaîne Youtube des entretiens avec plusieurs personnalités. Sa prochaine oeuvre, un roman judiciaire intitulé «72 heures» (Lajouanie) est disponible depuis le 4 décembre.

Suis-je un citoyen indigne, pour tout dire un salaud, parce que je ne vais pas «marcher contre la terreur», pour écrire comme Le Monde, ou «me lever contre le terrorisme», selon l'exhortation du président de la République?

Je pourrais déjà tenter de m'absoudre en soulignant que cette immense émotion, depuis le 7 janvier, et qui culminera le 11 va représenter, sur un mode pervers, la victoire odieuse de criminels qui ont atteint leur but puisque l'ampleur de l'indignation était probablement espérée par ces sanguinaires de l'intégrisme. Notre pays certes solidaire a ainsi, aussi, manifesté la gravité des blessures qui lui ont été causées.

En ce sens, il est clair que cette «marche républicaine» va être purement symbolique, quoique multiforme, puisqu'elle ne va rigoureusement pas avoir le moindre effet sur les menaces, les attentats, les représailles et les tragédies à venir et qu'elle n'est destinée, dans une sorte de béatitude collective satisfaite d'elle-même, qu'à persuader la nation que durant quelques jours elle aura été à peu près unie.
J'entends bien que cette argumentation peut apparaître mesquine en refusant à la communauté nationale le droit de se faire du bien parce qu'elle se rassemble autour de l'abjecte malfaisance de Charlie Hebdo, de la policière abattue à Montrouge, des quatre otages supprimés dans l'épicerie casher.

Avec des assassins que nos forces de police exemplaires ne pouvaient que blesser mortellement puisque leur rêve était de mourir en «martyrs» et que probablement ils le sont devenus pour des admirateurs, des émules, leurs inspirateurs et si on se fonde sur les innombrables messages téléphoniques de haine et de violence adressés à divers commissariats dans la soirée du 9.
J'ose soutenir, si cette compétition n'était pas indécente et absurde, avoir éprouvé autant de révolte, d'indignation et de besoin de justice que quiconque devant ces actes répétés innommables. Ces sentiments ne conduisent pas forcément à la fusion de dimanche.

Mais y aurait-il une obligation à la fois morale et civique qui contraindrait «l'honnête homme» à se rendre dans ce défilé dominical qui va mêler tant de publics hétérogènes, tant de pensées contradictoires, pour ne pas dire incompatibles, tant d'attitudes conventionnelles, tant d'hypocrisies à tant d'illusions?

Cette union nationale qui ne pointe son visage emblématique qu'après les désastres et pour si peu de temps.

Malgré le comportement apparemment irréprochable de nos gouvernants, le soupçon de l'instrumentalisation politique d'une terrifiante douleur qui aurait pu demeurer sincère avec plus de discrétion et un Etat moins omniprésent.

Dans cette «marche contre la terreur», combien sont profondément épris de la liberté d'expression sous toutes ses latitudes, et pas seulement de celle de Charlie Hebdo? Combien, au contraire, ne se sont souvenus de cette dernière qu'après les massacres, défenseurs opportunistes sur lesquels le dessinateur Willem et Charlie Hebdo «vomissent»?

Pour se lever contre le terrorisme au sein d'une multitude, encore faut-il être assuré que l'humanisme n'est pas hémiplégique et que pour d'autres causes jugées moins nobles, moins «porteuses», on ne moquerait pas notre exigence de sécurité au nom d'une idéologie discutable et compassionnelle?
Combien, dans cette masse, pourront dire, en conscience, comme Patrick Modiano a su magnifiquement l'exprimer dans son seul commentaire sur ces crimes, qu'ils rejettent toute violence?
Que signifie ce consensus factice, cette concorde superficielle qui prétendent, au prétexte que nous aurions le cœur sec en nous abstenant, faire oublier, sans y parvenir, les déchirements, les fractures, les divisions profondes de la France?

Le verbe, la résistance de proclamation et défiler seraient-ils essentiels alors que, se recueillant sur le passé si proche encore, ils n'auront pas la moindre incidence sur le futur?

Est-il honteux de proférer que plutôt que de concevoir cette phénoménale marche internationale, avec un incroyable risque d'insécurité, il n'aurait pas mieux valu, modestement, efficacement, appréhender l'avenir pour convaincre le citoyen que non seulement il ne doit pas avoir peur mais que notre état de droit rendra, autant que faire se peut, inconcevable cette angoisse parce que notre démocratie sera mieux armée, saura mieux suivre et contrôler, sera moins laxiste et libérera moins vite?

Les destinées des trois assassins abattus auraient dû être prioritaires plus qu'une grande messe républicaine sans conséquence opératoire.

Et lundi, on fera quoi?

Non, décidément, je ne crois pas être un salaud parce que je vais m'abstenir aujourd'hui.