Monde 28/12/2009 à 15h42
L'opposition manifeste en Iran, les vidéos défilent sur le Web
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Les vidéos des manifestations de dimanche en Iran, diffusées grâce au Web, témoignent d'un fossé grandissant entre le régime et une partie de la population, qui n'hésite plus désormais à s'en prendre aux forces de l'ordre.
A Téhéran, dimanche 27 décembre (REUTERS/Stringer Iran)
Elles sont un des seuls moyens de rendre compte de la situation en Iran. Dans un pays cadenassé où la censure est omniprésente, les photos et vidéos diffusées quotidiennement sur Internet depuis six mois font figure d'exception. Recueillies sur place par les manifestants, elles irriguent les médias internationaux qui, eux, sont soumis à d'importantes restrictions dans leur travail (la chaîne Dubai TV a d'ailleurs confirmé ce lundi la disparition d'un de ses journalistes).
Si ces vidéos ne constituent qu'un regard «brut», elles peuvent toutefois être considérées comme d'une «très grande fiabilité», nous assure Fahrad Khosrokhavar, chercheur à l'EHESS. En dépit des risques encourus – «les forces de l'ordre saisissent le matériel des gens qui filment et le cassent» – de nombreux Iraniens arpentent donc les manifestations, téléphone à la main, saisissant des scènes plutôt courtes, mais souvent très fortes.
La diffusion se fait sur des sites de blogueurs ou d'expatriés, ainsi que sur Youtube (Unity4iran, Jaras, Onlymehdi). «Le pouvoir peut arrêter momentanément ou ralentir le trafic Internet, explique Fahrad Khosrokhavar, mais il y a des possibilités d'accès à certains moments. Les gens en profitent pour mettre en ligne ce qu'ils ont filmé».
Le Guide cible des manifestants
Que voit-on sur les images des manifestations de ce week-end? Des foules scandant des slogans anti-Ahmadinejad («mort au dictateur» - le surnom de l'ancien maire de Téhéran depuis sa réélection frauduleuse en juin), voire anti-Khamenei, le Guide de la Révolution islamique.
«En juin, on protestait contre un scrutin frauduleux. Mais depuis deux mois, c'est l'Ayatollah lui-même qui est visé», souligne Karim Lahidji, président de la Ligue des droits de l'homme iranienne et interrogé par Libération.fr. Lors des manifestations de samedi et dimanche, organisées pour commémorer l'Achoura, une des plus grandes processions du chiisme, les protestataires ont d'ailleurs mêlé références religieuses et revendications politiques.
«En 1963, lors de la naissance du mouvement khomeinyste, ou en 1978, quelques mois avant la révolution iranienne, les manifestants avaient déjà profité de la procession traditionnelle de l'Achoura pour émettre des revendications politiques. Ce qui s'est passé ce week-end correspond donc à l'histoire de la République islamique», précise Karim Lahidji.
Parmi les slogans entendus, certains assimilent Khamenei à Yazid, le calife accusé d'avoir tué l'imam Hussein: «C'est le mois du sang. Yazid va tomber». Le leader de l'opposition Mir Hossein Moussavi est lui comparé à la figure martyre du chiisme: «Mir Hossein, ya Hossein».
Mais les défilés du week-end ont aussi été marqués par des altercations très violentes entre manifestants et forces de l'ordre, qui ont fait de nombreuses victimes.
Fait inédit, les protestataires s'en sont parfois pris directement aux policiers et aux bassidjis, ces miliciens islamiques qui répriment violemment les manifestations. Outre des jets de pierres, des voitures de police ont été dégradées ou brûlées.
Certains policiers, eux, ont refusé de prendre part à la répression, à l'image de cet homme qui s'est coiffé d'une écharpe verte, couleur symbole du mouvement réformiste (photo Reuters).
«Que les gens ripostent, ce n'est pas un phénomène complètement nouveau, estime Fahrad Khosrokhavar. Mais il est frappant de voir la détermination de plus en plus importante d'une partie de la population.» Karim Lahidji appuie l'argument: «Les porte-parole du mouvement réformiste insistaient sur le caractère pacifique des manifestations malgré la répression. Le mouvement semble désormais se radicaliser (...). Des villes comme Qom, plutôt traditionnelles, commencent à bouger alors qu'elles n'étaient pas intervenues en juin.»
Les barricades entrevues hier dans les rues de Téhéran pourraient donc réapparaître prochainement. «La protestation dure depuis six mois. Cela montre que le régime ne se débarrassera pas d'un mouvement si profond par la répression», avance Fahrad Khosrokhavar. «Un coup d'État militaire est possible. Mais on peut aussi aller vers une crise majeure au sein du régime.» Des luttes de pouvoir entre différentes factions de la République islamique pourraient alors éclater.