Monde 25/02/2010 à 00h00
«Le régime cubain s’acharne sur ceux qui se battent pour leurs droits»
Interview
L’exilé Jacobo Machover réagit à la mort, après 85 jours de grève de la faim, du détenu Orlando Zapata.
Orlando Zapata (2e G), mort en prison d'une grève de la faim, en compagnie d'autres dissidents, devant le drapeau cubain, le 11 mars 2003 à La Havane (AFP Adalberto Roque)
Il est mort après 85 jours de grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention. Ex-maçon, Orlando Zapata, 42 ans, était l’un des 65 «prisonniers de conscience» cubains adoptés par Amnesty International. Les militants des droits de l’homme dénoncent «un assassinat prémédité». Le prisonnier a en effet été transporté à l’hôpital pénitentiaire il y a quelques jours alors que son état était déjà désespéré. Exilé cubain et universitaire à Avignon, Jacobo Machover, auteur de Cuba, mémoire d’un naufrage (Buchet-Chastel), analyse la politique répressive du régime.
Les autorités de La Havane ont-elles délibérément laissé mourir Zapata ?
Je ne crois pas que Raúl et Fidel Castro soient réellement enchantés de cette fin tragique, qui rappelle celle de Pedro Luis Boitel en 1974, devenu un symbole de la lutte des prisonniers politiques après sa grève de la faim jusqu’à la mort. Aujourd’hui, il y a une attention beaucoup plus grande des médias sur ce qui se passe dans les geôles d’un régime qui ne fait plus illusion en Occident. Notamment depuis «le printemps noir» de 2003 et la rafle de 75 intellectuels dissidents et militants des droits de l’homme, pour la plupart condamnés à des peines très lourdes.
Le plus connu, Raúl Rivero, avait écopé de vingt ans de prison mais il a été remis en liberté au bout de dix-huit mois sous la pression internationale. Une cinquantaine d’autres sont toujours incarcérés, dont Orlando Zapata. Il avait été condamné à trois ans. Parce qu’il refusait d’accepter les humiliations et était considéré comme une forte tête, sa peine a été peu à peu alourdie, allant jusqu’à trente-six ans, sur simple décision administrative. Cela est fréquent et, souvent, les détenus ne savent même pas que leur peine a été prolongée.
Quelles sont les raisons de cette intransigeance ?
Dans la rhétorique de Fidel et Raúl Castro, les opposants incarcérés sont nécessairement des agents de l’étranger et des mercenaires. Il faut continuer la guerre contre eux, même une fois qu’ils sont derrière les barreaux. Jusqu’à les briser par les humiliations et les tortures. Dans le passé, il y a eu des mouvements collectifs de grèves de la faim dans les prisons mais ils se sont fracassés sur l’intransigeance des autorités. Maintenant, le plus souvent, ce sont des actions individuelles. Pourtant, les prisonniers qui se lancent savent très bien que le régime s’acharne avant tout sur ceux qui se battent pour leurs droits. D’où l’inquiétude pour deux détenus à la santé déjà affaiblie : les journalistes indépendants Ricardo González, condamné à vingt ans, et Normando Hernandez qui a déjà fait plusieurs grèves de la faim.
Ces grèves ont-elles un écho dans le pays ?
Les Cubains ne savent pas ou très peu ce qui se passe dans les prisons. Certes il y a les manifestations des «dames en blanc» - mères, épouses ou sœurs - des prisonniers politiques qui défilent tous les dimanches à La Havane pour attirer l’attention sur le sort de leurs proches. Mais l’écho en reste limité. Pour s’informer, les Cubains ne peuvent pas compter sur Internet dont l’accès est encore plus limité qu’en Chine. Même si le gouvernement de Raúl Castro a finalement autorisé la vente d’ordinateurs, ceux-ci ne permettent pas de surfer. Pour s’informer sur le sort des prisonniers, il y a les radios de l’émigration mais leur écoute est dangereuse… à la merci d’une dénonciation.
Que pensez-vous de l’attitude de la communauté internationale ?
Le silence des dirigeants latino-américains est une complicité assumée. On l’a encore vu lors de leur sommet à Cancún (Mexique) ces derniers jours, où aucun d’entre-eux n’a évoqué la mort de Zapata. Cela n’est guère étonnant de la part de Hugo Chávez, qui se veut un frère d’arme des Castro et qui tente d’imposer dans son pays un régime similaire. Mais le président brésilien, Lula, a eu une attitude identique et, en visite à La Havane hier, il a même refusé de rencontrer les familles des détenus politiques. Fidel Castro reste à leurs yeux le symbole de la lutte contre l’impérialisme américain.
Mais même l’Europe est timorée et en premier lieu l’Espagne, à qui les Vingt-Sept ont depuis des années délégué les relations avec La Havane. Certains ex-pays de l’Est, à commencer par la République tchèque et la Pologne, avaient pourtant entraîné les Européens vers un peu plus de fermeté. En 2003, après le «printemps noir», des sanctions symboliques avaient été prises mais elles ont été depuis levées et l’Espagne, qui occupe ce semestre la présidence de l’Union, espère même faire en sorte que les aides de l’UE ne soient plus conditionnées à des améliorations sur le terrain des droits de l’homme.