Économie 14/08/2010 à 00h00
Péages : la route de la fortune
Le système de tarification, opaque et compliqué, garantit aux sociétés d’autoroutes des revenus élevés.
Une autoroute en juillet 2008. (© AFP Fred Dufour)
Les millions d’automobilistes qui font leurs comptes sur la route des vacances, en ce week-end de chassé-croisé savent qu’en empruntant les autoroutes, ils dépensent souvent autant au péage qu’à la pompe. Parfois, ils laissent même plus d’argent aux sociétés concessionnaires du parc autoroutier qu’à la station-service où ils ont fait le plein. En dépit de contrats de concession en théorie bien verrouillés et d’une politique tarifaire placée sous contrôle de l’Etat, les prix des autoroutes ont considérablement augmenté ces dernières années. Les sociétés concessionnaires n’ont jamais distribué autant de dividendes à leurs actionnaires et les automobilistes n’ont jamais payé aussi cher.
L’AUTOROUTE, COMBIEN ÇA COÛTE ?
Un coup d’œil sur la grille tarifaire des principaux itinéraires autoroutiers de l’Hexagone permet de se rendre compte que le péage n’est plus une dépense accessoire (1). Pour un Paris-Bordeaux, par exemple, la note est très salée : 50,90 euros pour une voiture de tourisme. C’est plus que la dépense en carburant. «Une automobile diesel de cylindrée moyenne, même ancienne, consomme moins de 6 litres aux 100 km avec une vitesse stabilisée à 130 km/h», indique-t-on chez un constructeur automobile. Pour parcourir les 591 km qui séparent les deux villes, la consommation de carburant sera donc de l’ordre de 36 litres. Ce qui fait une dépense de gazole d’environ 40 euros en faisant bien sûr le plein dans une station hors autoroute (2). Sur la plupart des autres itinéraires, toujours avec un véhicule diesel de moyenne cylindrée, on dépensera grosso modo autant en péage qu’en carburant. C’est le cas notamment des trajets Lyon-Paris (péage de 30,90 euros pour 460 km), Lyon-Montpellier (22,90 euros, 303 km), Strasbourg-Paris (34,90 euros, 488 km), Reims-Genève (45,80 euros, 546 km). Et les tarifs grimpent encore quand les vacanciers voyagent avec une caravane. Cannes-Paris : 103 euros. Hendaye-Paris : 93 euros. Tours-Mulhouse : 86,10 euros.
Les craintes des constructeurs automobiles
Le niveau élevé des prix des péages inquiète les industriels de l’automobile. «Pour nous c’est une préoccupation, affirme-t-on chez un constructeur. On travaille pour réduire la consommation des véhicules et les dépenses d’entretien. On n’a pas de prise sur le reste.» En creux, les industriels redoutent qu’à force de se faire plumer à la pompe et au péage, les consommateurs ne se détournent de la voiture.
Début juillet, dans le Parisien, Jean-François Roverato, PDG d’Eiffage - concessionnaire des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APPR) -, se félicitait de la reprise du trafic automobile sur les autoroutes. «Nous avons désormais rattrapé la forte baisse de fréquentation des véhicules légers sur nos réseaux à cause des augmentations des prix des carburants en 2008.» L’homme, qui préside également l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (Asfa), attribue aux seuls prix des carburants la baisse du trafic. Pratique pour éviter de balayer devant la porte des sociétés d’autoroutes, dont les hausses des péages sont tout aussi dissuasives.
La flambée des péages
Selon des chiffres du ministère de l’Ecologie, les sociétés d’autoroute ont augmenté leurs tarifs dans une fourchette de 9,76% à 18,18% entre 2004 (année qui a précédé la décision de les privatiser) et 2010. C’est beaucoup plus que l’inflation constatée par l’Insee (+9,91%) pendant la même période. Dans le tiercé de tête des hausses, on trouve la Société des autoroutes Paris-Normandie (SAPN, +18,18%, les Autoroutes du Sud (ASF, +16,37%), et Estérel-Côte d’Azur-Provence-Alpes (Escota, +15,91%).
Contactées par Libération, ces sociétés livrent immédiatement un argumentaire sur mesure pour justifier les hausses. «Nous avons fait des travaux très coûteux de remise aux normes des tunnels sur notre réseau», explique-t-on chez Escota, filiale de Vinci, dont les autoroutes en région Paca comportent 21 galeries. A la SAPN, «l’élargissement [très partiel, ndlr] de deux à trois voies de l’A13 Paris-Caen et d’autres investissements» servent à justifier la hausse record de 18,18%.
Prix imposés : le grand détournement
En théorie, tout est sous contrôle. Les hausses doivent être validées par les services de l’Etat. Les sociétés d’autoroute n’ont pas le droit d’augmenter leurs prix de plus de 70% ou 85% de l’inflation. Les tarifs des péages devraient évoluer moins vite que les prix à la consommation. Mais il existe des hausses additionnelles au titre des investissements (travaux de mises aux normes, élargissements…). Dans un rapport très sévère publié en 2008, la Cour des comptes observe que ces hausses sont «mal étayées» et que leur «justification est invérifiable». L’institution révélait également la pratique pernicieuse du «foisonnement», qui consiste à concentrer les hausses les plus fortes sur les tronçons les plus fréquentés. «Si bien que les recettes tirées des péages croissent plus rapidement que les hausses accordées et sont supérieures […] aux tarifs moyens affichés», écrivaient les magistrats de la rue Cambon. La Cour citait plusieurs cas de foisonnement par les sociétés APRR, ASF, ou SAPN. Cette dernière a «augmenté de 80% depuis 1995 le prix de la section Mantes-Gaillon, la plus chargée de l’autoroute A13». Le lobby autoroutier s’était à l’époque déchaîné contre le rapport. Aujourd’hui, un homme du sérail admet en off que certains «ont complètement déconné» en appliquant de «manière complètement démesurée» le foisonnement.
En 2010, les tarifs des autoroutes n’ont augmenté que de 0,5% en moyenne. Le rapport a mis la pression sur les services de l’Etat qui s’étaient montrés laxistes et avaient oublié que l’usager paye. La Cour des comptes a sifflé la fin de la récréation. L’Etat a demandé aux sociétés de cesser de foisonner. Mais la vigilance doit rester de mise. Les autoroutes françaises sont les plus chères d’Europe.
(1) www.autoroutes.fr
(2) Hors autoroute, le prix du gazole varie entre 1,10 et 1,20 euro.